Un Mariage scandaleux by André Léo

Un Mariage scandaleux by André Léo

Auteur:André Léo [Léo, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Amour, Femmes, Société, Littérature française, 19e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2024-03-04T00:00:00+00:00


XII

Au mois de juin suivant, par une chaude soirée, Mlle Boc tricotait, assise à sa porte sur un banc de pierre. Le soleil venait de se coucher. Au milieu des vapeurs empourprées, le clocher de l’église se dessinait superbe et gigantesque, et les deux peupliers du puits avaient un feuillage d’or. Une foule empressée de petits oiseaux babillait dans les ormes avant la couchée. On n’apercevait point d’autre femme assise, au seuil des maisons qui bordent la place, mais quelques ménagères affairées allaient et venaient. C’était l’époque de la fenaison. Toute la population de Chavagny était éparpillée dans les prairies, et de temps en temps passait, traînée par des bœufs, quelque charretée de foin, haute comme une maison et un peu vacillante, qui remplissait l’atmosphère d’arômes enivrants.

Peut-être pour Mlle Boc le charme de cette soirée n’était-il pas complet ? Bien qu’elle tricotât avec activité, souvent elle jetait ses regards autour d’elle, et si quelque femme passait à portée de sa voix, c’était un bonjour, m’amie des plus engageants, suivi de questions sur l’état de la santé, puis sur l’état de la récolte, puis sur l’état du temps, mais que venait presque toujours interrompre cette phrase contrariante : Faut que je m’en aille, mam’zelle Boc ; on est si pressé !

Enfin, à l’horizon de la place, apparut une créature plus tranquille d’aspect, une paysanne dodue, qui marchait à petits pas en tricotant son bas de laine. Mlle Boc eut un tressaillement de joie.

— Eh ! vous voilà, Touronne, cria-t-elle du plus loin qu’elle put. Arrivez donc vous asseoir. Il fait si chaud, ma mignonne, qu’on ne peut aller loin.

— Seigneur ! mam’zelle Boc, je ne demande pas mieux. On est tout collé ! Grand bonheur qu’on ne soit plus dans les prés chez nous ! C’était pour y fondre, quoi.

— Vous avez déjà serré vos foins !

— Fini d’hier, mam’zelle, merci au bon Dieu ! Et une belle grangée que nous avons ! Dieu nous a bénis cette année !

Tout en parlant ainsi, la Touron était arrivée tout proche de Mlle Boc, et alors, changeant tout à coup son air et sa voix :

— Bonsoir, mam’zelle, comment vous portez-vous ? Salut infaillible que le paysan n’oublie jamais, et qu’il tiendrait en réserve une demi-heure, si l’on pouvait causer à distance pendant si longtemps.

— Seigneur ! fait-il chaud ! et vous êtes donc toute seule, à présent, mam’zelle ?

— Ne m’en parlez pas, tenez, je suis lasse d’en ouvrir la bouche. Ça devait finir comme ça. Une drôlesse que j’avais comblée de bienfaits !

— Que voulez-vous, mam’zelle ? M. le curé a ben raison de dire qu’il ne faut faire le bien que pour l’amour de Dieu.

— C’était uniquement pour l’amour de Dieu ce que j’en faisais, Touronne ; car, je puis bien vous dire que je la détestais cette créature-là.

— Vous n’en aviez que plus de mérite, mam’zelle.

— Pourtant, je m’ennuie davantage à présent. Malgré tout, c’était une occupation. C’est vrai qu’il me fallait sans cesse la gronder ou la battre ; mais enfin, nous ne sommes pas sur la terre pour avoir toutes nos aises.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.